Préface
Par Jean-Michel Darrois et Hervé Temime
Avocats à la Cour
Les nullités de procédure sont un anticorps puissant de notre État de droit. En ce qu’elles sanctionnent – par son anéantissement – un acte ou une procédure qui se serait affranchi des prescriptions de la loi, les nullités participent activement de l’hygiène et de la santé de notre démocratie. Elles participent à la protection des droits fondamentaux en sanctionnant les dérives. Leur efficacité est à ce titre indissociable du respect de nos libertés fondamentales.
Elles sont également les garantes de l’efficacité de notre justice pénale, et de la confiance dont l’investissent les justiciables. L’irrespect de la procédure pénale a une influence directe sur l’élaboration de la vérité judiciaire. À l’instar d’une méthode scientifique, la façon d’accéder à la connaissance, ici la vérité judiciaire, exige une méthode, celle du respect de certaines règles préalables. En délimitant strictement le cadre légal au sein duquel peuvent se déployer les enquêtes et les poursuites, et en sanctionnant les dérives et violations, les nullités de procédure contribuent donc à conférer l’autorité et la légitimité indispensables à la décision rendue.
En pratique, la matière pénale se trouve tout entière irriguée de la question des nullités, laquelle se pose à tous les stades de la procédure et donne lieu à un contentieux spécifique, technique et foisonnant, lui-même attentivement commenté par une doctrine abondante. Cette jurisprudence se singularise par son caractère mouvant, largement tributaire des évolutions législatives et des droits de l’Union européenne et conventionnel. Il en résulte une grande variété des cas de nullités pouvant être constatés par le juge, tant au regard des actes que ces nullités concernent que des fondements sur lesquels elles peuvent être prononcées.
S’agissant des praticiens du droit pénal, les nullités de procédure se trouvent au cœur de l’exercice de leur métier. Aucun acteur de la procédure pénale ne peut faire l’économie de se confronter aux nullités procédurales, pour chacune des procédures dont il a à connaître, que ce soit de manière active – il est du devoir de l’avocat d’élever les exceptions de nullité affectant une procédure dont il est saisi, tout comme il appartient au juge d’en connaître et de statuer lorsque ces exceptions lui sont déférées – ou bien de manière subie – un jugement rendu par des magistrats du siège tout comme un acte accompli par un juge d’instruction, un procureur ou encore un officier de police judiciaire, peuvent se trouver frappés de nullité.
Au quotidien, la question des nullités procédurales mobilise donc une part essentielle de l’attention et des efforts de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale. Il en va naturellement des droits fondamentaux des justiciables. Mais il en va aussi, pour chacun de ces acteurs, de l’efficacité – et donc du sens profond – de son travail, voire de sa responsabilité professionnelle.
Pourtant, en dépit du caractère technique et protéiforme de l’univers des nullités de procédure, tous les praticiens de la matière pénale (dont au premier chef les auteurs de ces lignes) ont été, au cours de leur carrière, confrontés au même constat : il n’existe aucune liste ni aucun outil à jour de l’état du droit et recensant les cas de nullités susceptibles d’affecter un acte ou une procédure pénale.
Certes, il existe une littérature spécialisée pléthorique sur le sujet. Mais en dépit de sa grande qualité générale, elle peut paraître insatisfaisante à deux égards.
D’une part, aucune de ces sources ne prétend recenser ni classifier l’intégralité des cas de nullité susceptibles d’être prononcés. Elles se déclinent d’ailleurs généralement sous la forme d’études thématiques consacrées à tel ou tel acte susceptible d’être annulé, ou à tel ou tel texte ou courant jurisprudentiel susceptible de servir de fondement à un ou plusieurs moyens de nullité.
D’autre part et surtout, la plupart de ces sources recensent, sans les distinguer, les décisions rendues ayant retenu comme ayant rejeté des moyens de nullité, sans au demeurant systématiquement distinguer, parmi ces décisions, celles qui s’intéressent à des nullités d’ordre public, à des nullités à grief présumé ou encore à des nullités nécessitant la démonstration d’un grief.
En somme, et à défaut d’avoir accès à un outil fiable et lisible lui offrant un aperçu global de l’état du droit en la matière, le praticien se trouve trop souvent réduit à cultiver un empirisme exacerbé, faisant largement appel à son expérience individuelle qui a pu le conduire, au gré de ses dossiers et de ses lectures, à s’intéresser ou à être confronté à certains moyens de nullité particuliers.
Loin d’être anodine, cette carence contribue à fragiliser la régularité de nos procédures pénales et l’exercice de nos professions. Aucun professionnel n’est en effet à l’abri de commettre une erreur ou une omission qu’il aurait pu éviter s’il avait eu un tel outil auquel se référer pour apprécier l’état actuel du droit positif en la matière.
Ces potentielles erreurs ou négligences peuvent, à l’évidence, être lourdes de conséquences pour le justiciable directement concerné. C’est du reste ce qui rend l’exercice de nos fonctions souvent si vertigineux, particulièrement pour les plus jeunes magistrats, avocats, greffiers ou officiers de police judiciaire, qui ne peuvent prétendre pallier cette carence à court-terme par recours à leur expérience acquise.
Ce vertige, Rémi Lorrain et Léon Del Forno nous ont dit en avoir fait l’expérience crue lorsqu’ils ont été élus dixièmes secrétaires de la conférence du barreau de Paris pour les années, respectivement, 2013 et 2014. À l’instar de nombreux de leurs pairs, ils avaient alors ceci en commun d’avoir très récemment prêté serment, de n’avoir quasiment jamais été confrontés à la matière pénale, et de se voir en quelques semaines investis de la lourde charge de défendre des justiciables mis en cause dans des procédures criminelles, terroristes et financières complexes.
À l’approche de leurs premières audiences de comparutions immédiates et interrogatoires de première comparution, il était indispensable qu’ils puissent se former rapidement et efficacement à la problématique des nullités de procédure, lesquelles pouvaient avoir un impact déterminant sur le sort très concret de leurs futurs clients.
Après une brève immersion dans les sources disponibles, ils ont été frappés de constater (comme tant d’autres avant et après eux) qu’il n’existait, depuis 1936, aucun ouvrage ou article de référence prétendant recenser les cas de nullité de procédure susceptibles d’être invoqués de manière efficace aux divers stades de la procédure pénale. Ils se sont alors fait la promesse de tenter d’y remédier, et ont commencé à compiler au gré de leurs recherches et de leur exercice professionnel, l’ensemble des décisions définitives disponibles ayant fait droit à des moyens de nullité procédurales.
C’est avec une conviction et un enthousiasme intacts qu’ils nous ont présenté ce projet abouti près de sept ans plus tard, et qu’ils ont fait le choix d’intituler – non sans autodérision – « Nullitator ». Nous avons été immédiatement convaincus par sa pertinence.
D’abord parce qu’il est simple : ses auteurs n’ont pas prétendu faire une exégèse doctrinale des décisions qui y sont rapportées, ni gloser sur tel ou tel controverse législative ou revirement jurisprudentiel. Y est contenue l’information pure et brute dont les praticiens ont besoin pour sécuriser leur exercice professionnel, déclinée à l’aide d’une présentation lisible et d’un classement intuitif.
Ensuite parce qu’il est efficace : n’y sont recensés que des cas de nullité qui ont été constatés à la faveur d’une décision définitive et qui sont, soit d’ordre public, soit à grief présumé, soit à grief démontré (et non pas à démontrer), si bien que leur transposabilité aux cas qui peuvent se présenter aux praticiens est en principe, et sauf revirement de jurisprudence, acquise.
Enfin parce qu’il est ambitieux : l’ouvrage prétend à une certaine exhaustivité notamment pour les décisions de la chambre criminelle rendues depuis 2005 et jusqu’à sa parution. Il se double de surcroît d’un site Internet (www.nullitator.fr) régulièrement mis à jour, et qui offre aux utilisateurs la possibilité de participer activement à l’enrichissement de son contenu en partageant les décisions dont ils ont connaissance et qui sont susceptibles d’y être recensées.
Plus qu’un état du droit, cet ouvrage a donc pour ambition assumée de devenir un état d’esprit, en ce qu’il invite tous ses lecteurs, au premier chef desquels les magistrats et les avocats, à contribuer à l’élaboration de la jurisprudence en matière de nullités de procédure.
Nous sommes persuadés que « Nullitator » aidera l’ensemble des acteurs de la procédure pénale, et notamment les plus jeunes d’entre eux, à exercer leurs fonctions avec une meilleure appréhension de la problématique des nullités procédurales, que ce soit en les soulevant, en les constatant, ou en évitant tout simplement que les irrégularités pouvant les déclencher ne puissent être commises. Ce faisant, gageons que ce projet enthousiasmant contribuera, à sa mesure, à tarir les nullités pouvant vicier nos procédures pénales, et ainsi à renforcer nos droits et nos libertés.